PASSIRAC

 

Une Heureuse Nature

 

 

§ HISTOIRE - église Saint-Pierre

Livret 1977

¤ Église Saint-Pierre
¤ Église Saint-Pierre

 

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I - Eglise Saint Pierre de Passirac - 1ère partie

 

SAINT-PIERRE de Passirac

Etude pour le neuvième centenaire
d'une dédicace (1077-1977)

Par Pierre DUBOURG-NOVES

et

Paul LEFRANCQ




I

AUX ORIGINES DE L'EGLISE DE PASSIRAC

 

Doit-on chercher à cette paroisse une origine plus ancienne chronologiquement que la date de 1077, celle de la « consécration » par l’évêque de Saintes ? Doit-on faire pour la fille comme il a été fait pour la mère, l’abbaye bénédictine de Baignes ?

 

Certes le savant abbé Cholet l’a fait pour Baignes. Grâce à lui cette abbaye a pu sortir de la pénombre où elle était restée depuis la fin du XVIIIe siècle. Cholet s’est attaché dans la Préface du Cartulaire de Baignes (1) à lui trouver un illustre fondateur. Il l’aurait trouvé en la personne de Charlemagne.

 

Ayant lu l’historien de l’Angoumois Corlieu, lequel écrivant au XVIe (2) avait pu utiliser des documents disparus par la suite, Cholet n’hésitait pas à attribuer à l’empereur la fondation des abbayes de Nanteuil et de Baignes.

 

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(1) Nous avons finalement suivi l’orthographe administrative : Baignes. Mais l’abbé Cholet préférait Baigne ce qui est conforme à l’étymologie. Le Cartulaire a été publié en 1867 sous les auspices de la Société archéologique et historique de la Charente dans des conditions que nous venons de rappeler dans le Bulletin de la Société des Antiquaires de l’Ouest, 1er trimestre de 1977, pp.71-81. l’abbé Cholet, chanoine théologal de La Rochelle mourut prématurément et la Table de son Cartulaire ainsi que la Préface furent achevées par le dépositaire de ses notes, l’Abbé Grasilier, bénéficiaire de son savoir et familier de sa pensée.

(2) Angoulême, Jean de Minières (1566) in 8°. On ne cite presque jamais que la seconde édition reprise au XIXe par l’Abbé Michon. Reprint récent.

 

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Il propose même une date : 769. Historien enthousiaste il voit – et il nous montre – Charlemagne en Aquitaine. « Trompé dans son espérance d’unir ses troupes à celles de son frère (Carloman) Charles n’en continue pas moins sa marche jusqu’à Angoulême. L’histoire nous fait défaut », convient Cholet, « pour retracer cette poursuite. Mais les lieux parlent d’eux-mêmes » … Hunald d’Aquitaine, révolté contre le roi carolingien qui le pourchassait farouchement « dût choisir pour point central de sa résistance la Haute-Saintonge d’où il donnait la main au Périgord, au Limouzin et à l’Auvergne ». Sur ces considérations stratégiques un peu audacieuses l’Abbé Cholet poursuit et achève son hypothèse par un tableau géographique qui va nous ramener dans une réalité plus localisée. « C’était le théâtre le plus favorable à une guerre de partisans ; des forêts, des landes, des cours d’eaux, de hautes collines, des vallons devaient favoriser des surprises où Hunald espérait triompher d’un ennemi plus fort que lui. En cas de défaite les forêts de Chantillac, de Chaux, de Born, dont il est si souvent question dans le Cartulaire ; les landes de Montendre, de Bussac ; les accidents de terrain de la vallée de l’Ary ; à l’Est des terrains incultes et boisés, à Passirac, Oriolles, Boisbreteau, Guizengeard lui offraient un refuge ».

 

            Hunald disparu, Passirac apparaît. Le tableau était seulement à l’état d’esquisse, bien brossé par Cholet. Sans doute, après Charlemagne empereur, après l’irruption normande sur laquelle on sait trop peu localement, cette partie de l’ancien « pagus sanctonicus » ne se trouva pas à l’état inculte que le Cartulaire de Baignes peut parfois laisser discerner dans des considérants de donation (3).

 

            Le diocèse de Saintes dans sa partie Sud-est est limitrophe de celui d’Angoulême et du territoire du diocèse de Bordeaux duquel Saintes comme Angoulême est suffragant. L’évêque de Saintes ne peut qu’avoir intérêt et sympathie pour les bénédictins de Saint-Étienne de Baignes et pour le développement de leur abbaye. Il verra d’un œil si favorable leur installation à Passirac (4) qu’il viendra, en 1077, en consacrer l’église.

 

            Laissons maintenant parler les documents. Ils vont nous apprendre plus que l’on y a trouvé encore. Ce qui subsiste des Archives anciennes de l’abbaye de Baignes se trouve aujourd’hui aux Archives de la Charente, constituant la sous-série H-9 (5).

 

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(3) Ce passage de la « Préface » est influencé par la lecture dans la charte 237 des mots « omnino sino cultore ». Mais la situation à la fin du VIIIe siècle et à la fin du IXe devait différer sensiblement.

(4) Le suffixe « ac » s’ajoutant à un gentilice présumé « Passirus » » suffirait à faire penser à une villa aquitaine des temps gallo-romains. Mais « Passirus » et « Passiracum » sont conjecturaux et pour l’instant sans explications à côté d’un « Passivus » dérivé de « patior », et de « passus » dont on ne connaît d’ailleurs qu’un exemple. Cf. M. Th. Morlet : les noms de personne sur le territoire de l’ancienne Gaule du VIe au XIIe siècle, t. II, p. 88 a.

(5) Les dossiers de cette sous-série sont peu épais. Pour Passirac la pièce la plus ancienne, après le cartulaire, est un parchemin de 1494 où figure le nom du prieur de la Tousche.

 

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Mais la pièce la plus ancienne de ce fonds remonte à 1255 donc près de deux siècles après la consécration de l’église en 1077. Heureusement les moines de Baignes avaient eu la précaution de faire établir par l’un des leurs un cartulaire où furent consignés, au milieu du XIIe siècle et jusqu’au milieu du siècle suivant les actes et les titres de propriété les plus importants qu’il est ainsi possible de retrouver et d’étudier (6).

 

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(6) L’un des moines de ce « scriptorium » provisoire assez habile calligraphe avait orné d’élégantes vignettes plusieurs chartes importantes. La lettrine « P » du mot « Placitum », charte 210 a été commentée par nous le 20/06/1977 lors de la séance foraine de la Société archéologique et historique de la Charente tenue à Barbezieux. Grâce à l’obligeance de Mgr l’évêque d’Angoulême le manuscrit du Cartulaire a pu être présenté, en 1975, à l’Exposition Arts, Hommes, Techniques, à Angoulême et étudié dans le Catalogue imprimé de cette exposition. Voir planches nos 1 et 2.

 

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Cinq actes, sur plus de cinq cents, concernant directement la paroisse de Passirac dans ses rapports avec l’abbaye bénédictine de Baignes et accessoirement le prieuré clunisien de Notre-Dame de Barbezieux. Trois évènements de la vie de la paroisse de Passirac sont pratiquement concomitants. L’un est la prise d’habit d’un futur abbé de Saint-Étienne de Baignes. Le jeune moine Adémar du Vignac (7) est fils de Ramnoul du Vignac lui-même fils d’un autre Adémar (et de Dame Die ou Dia). La prise d’habit a lieu en présence du père et de la mère du jeune novice dame Alearde. Adémar peut avoir 18 à 25 ans (ou même un peu moins) et ses parents autour de 40 à 45 ans (ou moins si le novice est encore enfant).

 

            L’évêque de Saintes se nommait alors Boson (7). Il portait attention à cette partie de son diocèse parce que relativement éloignée de sa cathédrale. Boson avait pris conseil de son entourage, l’archidiacre Eleazar, l’archiprêtre Gaubert ainsi qu’un chanoine du nom de Ramnoul, peut-être le futur évêque de ce nom. Rapport avait été fait par le chapelain en place à Passirac. Il se nommait Seguin. L’édifice où il allait recevoir l’évêque était-il neuf ou simplement rénové ? Devait-il être entièrement consacré ou plus particulièrement son autel ? Il est malaisé de se prononcer. Mais il paraît surprenant qu’une paroisse de cette importance n’ait pas déjà eu depuis un certain temps son église propre, fut-elle provisoire et en matériaux moins définitifs que la pierre et le marbre. L’importance de la paroisse ressort du nombre d’assistants à la cérémonie et de leur qualité. Il y avait des invités auprès de qui l’on s’était assuré qu’ils pourraient être présents au jour prévu.

 

            L’évêque ayant officié marqua ensuite son souci d’assurer au nouvel « autel » des revenus substantiels. Le seigneur de Barbezieux était venu. C’était Itier, fils d’Audouin II. Au premier rang de l’assistance on remarquait plusieurs chevaliers dont Raymond de Curat accompagnant l’archiprêtre de Chalais nommé Hélie et Ramnoul du Vignac lequel était en pays de connaissance aussi bien qu’à Passirac qu’à Barbezieux, à Saint-Hilaire et dans toutes les localités des environs où l’on retrouve des possessions de membres de sa famille (8). Les autres témoins se nommaient Helradus « de Ciresio », d’une famille assez nombreuse mais dont la localisation est encore malaisée (9) Geraud Andreas et Etienne Malpart et deux frères au nom également très connu Bernard et Seguin Vigier. Etait là, en voisin, Willelmus de Calac, venu de Chillac.

 

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(7) L’orthographe administrative actuelle est « Le Vignac ». Mais la forme ancienne au Vignac ou d’Auvignac fait mieux ressortir que la région est une zone intermédiaire entre langue d’oïl et langue d’oc.

(8) Le Cartulaire de Barbezieux publié en 1911 (pour les Archives historiques de la Saintonge et de l’Aunis, tome XII) par J. Machet de la Martinière montre les membres de la famille d’Auvignac (dau Vignac) propriétaire à Saint-Hilaire, Saint-Médard et Salles de Barbezieux, à la Chapelle (Saint-Aulais-la Chapelle-Conzac), à Condéon, à Berneuil, à Lamérac, à Oriolles, à Chantillac et à Passirac, où F. d’Alviniac avait fait un don au cartulaire de Baignes, n°220.  

(9) Cholet propose – avec hésitation – Chierzac, hameau de Bardenac, près de Montlieu (Charente-Maritime) ce qui n’emporte pas la conviction en raison de la présence dans ce toponyme du suffixe « ac » (acum) qui est toujours absent des diverses formes de « Ciresium ».

 

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Devant cet auditoire de choix l’évêque Boson prononça une homélie familière mais soigneusement préparée. Il comparait l’église de Passirac à une future mariée qu’il convenait de doter (10) décemment et même plus. N’y aurait-il pas dans l’assistance quelque chrétien au grand cœur et à la bourse garnie pour y pourvoir ? C’était le moment qu’attendaient, sans doute pressentis pour leur geste spontané, Raymond de Curat et Ramnoul du Vignac. Justement ils possédaient en commun une terre nommée « Cabecia » (11). Ce bien indivis était d’ailleurs sur le territoire de la paroisse de Passirac, vraisemblablement dans les bois. En effet les seigneurs de Barbezieux avaient sur cette terre droit de « pala ». C'est-à-dire droit d’en tirer les pieux nécessaires au fossé de l’enceinte de leur château. L’enceinte achevée il n’était plus nécessaire de faire si souvent un prélèvement aussi important puisqu’il ne s’agissait plus que de l’entretien du fossé. Néanmoins chaque année un pieu était symboliquement extrait des bois de Cabecia. Ce qui fit que sollicité de renoncer à ce droit de façon à rendre la donation plus grande et plus indépendante Itier de Barbezieux déclara ne pouvoir. Cependant par obligeance et pure amabilité il consentit à faire abandon de ses autres droits, au cas où il en aurait à Passirac. Itier avait fait et dit cela à la réflexion et la tête parfaitement froide (12). On le verra.

 

            Où se trouvait cette terre de « Cabecia » et où doit-elle maintenant être recherchée ? Au XIXe siècle l’abbé Cholet y a bien vite renoncé se contentant d’assurer qu’il y avait des noms de lieux identiques : «  on trouve plusieurs Cabasse ». Cette affirmation est malheureusement absolument erronée. Il n’existe en France aucun lieu portant ce nom. Cabasse ne peut d’ailleurs venir de Cabecia qui n’a pu donner que Cabesse ou Cabéce.

 

            Le clerc de l’abbaye de Saint-Étienne de Baignes pourrait-il s’être trompé involontairement, par ignorance ou par négligence ? Cela paraît impossible. Il y a en effet dans une aire géographique très limitée plusieurs noms de lieux se terminant de la même façon que Cabesse et dont la forme ancienne comportait le suffixe « etia » (ou itia).

 

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(10) Par une « desponsatio » terme employé par la charte mais probablement sans valeur juridique.

(11) CABECIA : le suffixe de ce nom s’applique en principe à des noms abstraits comme dans le bas-latin « nobilitia » qui a donné « noblesse ». Le radical « Caba » auquel il est apposé peut-il être rapproché de « Cava » évoquant l’idée de creusement ou de défrichement. Cabecia, d’où Cabesse (ou Cabece) n’a pas d’autres exemples connus pouvant en fournir une explication concrète.

(12) Il eut sans doute été moins réservé s’il se fut agi non par des bénédictins de Saint-Étienne mais des clunisiens de Notre-Dame de Barbezieux dont les seigneurs de Barbezieux pensaient faire leur Saint-Denis.

 

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Et, par exemple, de même que « fortalicia » a donné le français forteresse on a eu non loin de Cabesse la commune de Porcheresse (13). Cavecia est donc une forme ancienne parfaitement régulière et correcte et l’on ne peut proposer pour sa traduction autre chose que Cabesse. Pourquoi alors ne le retrouve-t-on plus ? Nous pensons qu’il y a eu là un phénomène de concrétisation d’un nom de lieu considéré comme abstrait du fait que l’on en était venu à ne plus lui connaître de signification. Alors put se substituer à lui sa « définition » concrète résultant de l’usage fonctionnel fait de ce nom. C’est ainsi que Cabecia qui était par destination depuis 1077 le maine de l’église et par extension le maine de son desservant a fini par être appelé «  le Maine du Curé ».

 

            Justement cette dénomination familière a existé et existe encore. Elle se lisait au XVIIIe siècle sur la carte de Cassini, au XIXe sur les premières cartes d’Etat-major. Enfin dans la seconde moitié du XXe siècle elle se lit sur les cartes au 25.000e de l’Institut géographique national. C’est toujours « Le Maine du Curé » à 1500 mètres à l’Ouest de Chillac dans une grande clairière. Au début le curé pouvait y résider ou ensuite le vicaire perpétuel du prieuré conventuel. Plus tard ce domaine put être affermé (14).

           

            Cet ermitage sylvestre mais douillet devait tenter des bénéficiaires et amener des contestations éventuelles. Peut-être le seigneur de Barbezieux en avait-il parlé à ses clunisiens de Notre-Dame de Barbezieux leur disant qu’il n’avait point voulu renoncer à son droit de « pala » à Passirac.

 

            A la fin du XIe siècle, ou tout au début du XIIe siècle, Audouin III a succédé à son père Itier Ier de Barbezieux. A la tête du prieuré clunisien est le prieur Ugo. Il y avait aussi à Saintes un nouvel évêque. Il se nommait Ramnoul. Hugues prieur de Barbezieux assurait que ce nouvel évêque lui avait octroyé la jouissance de l’intéressant domaine de Passirac (15).

  

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(13) Dans une aire géographique très limitée on relève plusieurs désinences en « esse » dont les formes latines transparaissent. De même que « fortalicia » a donné « forteresse » on a Porcheresse commune de la Charente. Bécheresse et Vacqueresse pourraient venir d’un nom propre attesté dans le Cartulaire de Barbezieux sans pour autant préjuger aucunement de l’étymologie du nom de Bernadus Vacha paroissien de Reignac.

Au sud de Passirac la commune de Boresse (Boresse et Martron, Charente-Maritime) et dans la Gironde le lieu-dit Soulesse et la commune de Saint-Ciers de Canesse ont même origine, et par d’autres emplois en toponymie française. Seule exception : Vaqueresse, dont il y a plusieurs exemples notamment dans le Massif Central (Allier) et un peu au-delà (Saône et Loire). En Charente trois toponymes « LUNESSE » viennent de « illa unitia ».

(14) Le « Maine du Curé » tout en gardant son nom a dû finalement sortir du domaine de l’abbaye de Baignes le 12 vendémiaire de l’an V, 1796-1797 les domaines ne vendent à Passirac comme bien national que le presbytère. Arch. de la Charente, Q – VIII – 77.

(15) Nous ne faisons que traduire, en la résumant à peine la charte n° 210 du Cartulaire de Baignes.

 

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De son côté l’abbé de Saint-Étienne de Baignes Adémar qui avait été fait moine à Passirac en 1077 et qui de plus était le fils du donateur Ramnoul du Vignac ne voulait point céder sur ce qui était son bon droit . Mais il accepta la proposition d’arbitrage du nouvel évêque. Les juges et arbitres désignés furent les deux archidiacres Amalvin et Pierre, l’écolâtre (magister scolarum) Gauscelme, un laïc, prévôt de Barbezieux nommé Robert. Certainement celui que deux chartes de Notre-Dame de Barbezieux nomment Maître Robert (16). Les arbitres convinrent d’accorder foi au témoignage concordant de trois prêtres. Ceux-ci se présentèrent et opinèrent en faveur de Saint-Étienne de Baignes contre Notre-Dame de Barbezieux…C’étaient Ramnoul chapelain de Saint-Vincent de Vassiac (17) et un autre Ramnoul venu de Chantillac (18). Désigné comme « sacerdos » il n’était sans doute pas le chapelain de Chantillac mais son vicaire. Le troisième ecclésiastique appelé à témoigner n’était autre que le chapelain de Passirac. Sa déposition fut conforme, on s’en doute, à celle des deux autres, favorables à Baignes. Il se nommait Seguin comme le chapelain de la consécration de 1077. Mais entre ces deux homonymes un chapelain du nom de Willelmus avait été à la tête de Passirac.

 

            De ce chapelain Willelmus nous savons seulement qu’il assista comme témoin d’un acte (19) des plus intéressants qui nous fait connaître un projet déjà assez avancé de nouvelle paroisse. Si celle-ci avait été vraiment érigée elle se serait située entre Passirac et Chillac. Voici comment. Sous l’abbatiat d’Itier abbé de Baignes (1075–1081) un 22 mars, donc peu de temps avant la fin du Carême, les seigneurs de Chillac Hélie et Arnaud de Calliac possédaient en indivis avec Seguin Vigier et son frère Hélie, leurs parents, un mas où travaillait un tenancier appelé Aibert. Et ce mas se trouvait dans la « villa » que l’on nommait « Abiac » ». Ces propriétaires se mirent d’accord pour faire don de ce domaine à l’abbaye bénédictine de Saint-Etienne de Baignes. Les donateurs suggéraient même, si l’abbé y consentait, d’y faire construire (hedificare) (sic) une église, par avance, donnée à l’abbaye de Baignes. Les donateurs concédaient dès maintenant le produit des offrandes en particulier des baptêmes et des sépultures. N’étant pas parlé des offrandes de mariage les donataires pensaient peut-être les revendiquer au moment où elles se produiraient (20).

 

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(16) Archives historiques de la Saintonge et de l’Aunis, t. 12. Cartulaire de Barbezieux, pp.68 et 74.

(17) L’église de Saint-Vincent de Vassiac, à la sortie Nord de Montguyon servait au XIXe siècle d’église paroissiale à Montguyon où se trouvait au Moyen-âge un prieuré dépendant de Baignes. Il était dédié à la Vierge et servait de chapelle castrale. Cholet. Cartulaire, p. 362.

(18) Ramnoul du Vignac était aussi un des bienfaiteurs de l’église de Chantillac. Voir la charte 92 du Cartulaire de Baignes.

(19) Cartulaire de Baignes n°232. Il est aussi possible de penser que la charte   de 1075–1081 – 22 mars soit antérieure à la consécration de 1077. Dans ce cas Willelmus aurait été chapelain entre 1075 et 1077 (au plus tard et il n’y aurait que un seul Seguin, en 1077 et après. Ce Seguin aurait-il été encore en place en 1098 lors du « Placitum » (charte de 1098–1107, n° 210 du Cartulaire) ?

(20) Cette réserve des offrandes de mariage fut-elle, plus tard, créatrice d’un droit seigneurial ?

 

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Parmi les témoins laïcs de cet acte si intéressant on retrouve le nom de Ramnoul du Vignac bienfaiteur de Passirac et parmi les clercs se trouve Willelmus qui pour lors régissait l’église de Saint-Pierre (21) « où se trouvait le lieu de la donation ».

 

            Où était donc la Villa « Abiac » où travaillait Aibert ? Nous allons la situer à l’aide d’une autre charte du cartulaire de Baignes. A la même époque (1075–1081) un nommé Pierre Rodolphe avait plusieurs sœurs et un seul neveu probablement assez jeune et lui-même assez âgé ce qui rendait difficile la mise en valeur des terres appartenant aux consorts. Celle que l’on donnait à l’abbaye était d’ailleurs en friche « omnino sine cultore » (22). Cet alleu possédé par hérédité se trouvait également dans la villa « Abiac » et l’acte précise sa situation entre deux [cours d’] eaux, « inter duas aquas ». L’un de ces cours d’eau se nommait « Boac », l’autre « rivus Caliacensis », ruisseau de Chillac (23).

 

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(21) Dans la charte n°237 la « paroisse » sur le territoire de laquelle se trouvait la « Villa Abiac » est appelée Saint-Pierre. Et l’abbé Cholet trop prudemment fait suivre Passirac d’un point d’interrogation. Le contexte ne laisse guère de doute. Vers cette époque les localités pourvues d’une église étaient indifféremment désignées soit par le nom du saint patron de cette église (et paroisse) soit encore par le nom ancien du lieu quelle qu’en soit l’origine. Maints exemples pourraient être présentés – à des périodes variables suivant la région de notre pays envisagées – de ces hésitations entre le toponyme simple et l’hagiotoponyme (nom emprunté au saint patron). Quand ce dernier a persisté il a pu arriver par la suite pour des raisons diverses que le patronage de l’église ait été modifié : cas de Saint-Sulpice de Chillac supplanté par Saint-Mathieu. Si Passirac fût devenu un prieuré clunisien au lieu d’être bénédictin le patronage de Saint-Pierre (invoqué à Cluny) n’aurait pas changé pour autant.

(22) « Omnino sine cultore » ne signifie d’ailleurs pas que la terre n’avait jamais été cultivée mais qu’elle manquait alors de bras pour la faire valoir.

(23) Tous ces éléments topographiques rendent évidente la localisation de la « Villa Abiac » à Passirac. Cholet s’est donné pour règle de séparer dans les noms anciens commençant par « A » cette initiale du reste du nom, le A étant pris comme un adverbe de lieu. La règle comporte pourtant des exceptions. Pour Abiac nous pensons qu’on ne doit pas systématiquement écarter un hypothétique gentilice « Abius » servant de radical à un suffixe « acum » d’où « abiacum » = Abiac.

 

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            Or il est certain que la région, bien boisée, assez vallonnée est irriguée par des cours d’eau tributaires du bassin de la Garonne. Le rivus Caliacensis passait donc au lieu-dit encore actuellement « Le Pas de Chillac ». Qu’était de l’autre côté, le « Boac » (24). Sans doute était-ce, à l’Est du Pas de Chillac ce ruisselet qui conflue dans le « Palais » à peu près à l’endroit où la route allant de Passirac à Guizengeard (25) croise celle qui conduit de Brossac à Boisbreteau. Dans cet espace assez limité doit se trouver l’exploitation ancienne qui à la fin du XIe siècle se nommait villa Abiac. Et aussi cette terre de « la Faia » (26) qui fut donnée par Audouin (sans doute Audouin de Barbezieux) au prieuré de Notre-Dame de Barbezieux. Dans le rapprochement de ces actes et des lieux intéressés, tous situés à Passirac, pourrait bien se trouver l’explication de la rivalité et de l’émulation à la fin du XIe siècle des abbayes de Baignes et de Barbezieux et de leurs bienfaiteurs.

 

            Où était « La Faia » ? Bien sûr il s’agit d’un territoire où poussent des hêtres, plus fréquents alors, sans doute que les conifères actuels. La Faia consistait en deux « maynamenta » dans la paroisse de Passirac payant un cens élevé, 8 deniers par an payables à la fête, mariale, de la Chandeleur. On y joignait une petite pièce de terre où travaillait Adémar, de la Faia, encore roturier bien sûr. Mais les bâtiments devaient être assez importants car Adémar était placé dans l’obligation d’y héberger le prieur de N.-D. de Barbezieux, ses représentants ou délégués (nuncii) quand ils en manifesteraient le désir.

 

            La Faye (26) pouvait donc être d’un jour à l’autre utilisée, ou les autres parties de la donation, à Abiac. A défaut d’une église paroissiale, une chapelle, un oratoire voire aussi un ermitage ou encore, vu l’isolement, une petite léproserie. Il semble que cela soit resté à l’état de projet.

 

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(24) Ce nom de cours d’eau « Boac » ne semble pas avoir subsisté. Par analogie avec le toponyme régional ancien « Chaboac » qui a été identifié par J. Machet de la Martinière avec Chabouyat, lieu-dit de la commune de Mont-chaude canton de Barbezieux et par Cholet avec Chabouyat, lieu-dit de la commune de Lamérac (cant. de Baignes-Sainte-Radegonde) où curieusement il y a un lieu-dit (non habité) « le Maine du Curé », le Boac du XIe siècle devrait être devenu « le Bouyat ».

(25) Guizengeard devrait correctement être dit «  le Guizengeard ». Marqué lui aussi par l’hydronymie c’est en latin au XIIe siècle « Vadum Ysenjardis » le Gué d’Yzengeard ». Arch. De la Charente. Série J n 206.

 

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Quant aux églises existant déjà à Chillac et à Passirac elles étaient et restaient sur le territoire paroissial. A Chillac dès le XIe siècle où l’ancienneté peut se retrouver et à Passirac où l’église connut à la même époque sa splendeur, sa fraicheur et sa pureté initiales. Mais qu’en pouvait-il rester après des siècles où se succédèrent, alternées, au gré des circonstances, les périodes de prospérité et celles de détresse ?

 

            Dans ce cycle ininterrompu la seconde moitié du XIXe siècle a assurément été une période d’opulence et même d’ostentation. Mais si l’on a alors passablement restauré et fortement « embelli » et enrichi on a eu aussi le mérite de se garder de taire ce qu’on l’on faisait. Ainsi nous connaissons, enregistrés par l’abbé J. Nanglard, ancien vicaire général (27) tous les détails de ces zélés et luxueux travaux d’entretien et de perfectionnement intentionnel dont l’examen attentif va permettre (28) d’atteindre la connaissance archéologique scientifique de ce qui a été fait à l’église de Passirac dès l’origine et au cours des siècles.

 

                                                                                Paul Lefrancq

 

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(26) En tant que toponyme nous n’avons retrouvé Lafaye (Lafaie) qu’à Brossac où dans sa partie supérieure le cours du « Palais » traverse « le Fond de Lafaye ». Par contre, en anthroponymie Adémar de la Faia cultivateur de la fin du XIe siècle pourrait fort bien avoir eu des descendants à Passirac jusqu’au milieu du XVIIIe siècle. Un sondage dans les registres paroissiaux sur les années1768 à 1773 années où la qualité du papier employé ne les rend pas trop indéchiffrables nous a mis en présence de plusieurs ménages se nommant Lafaye (Louis, Jean, Jacques, Pierre, sans toutefois d’Adémar, prénom qui, ne reviendra, un peu, à la mode qu’au milieu du XIXe siècle. Ces anciens « Lafaia » étaient au temps du curé Delphieu (prieur de Saint-Saturnin de Brie-sous-Chalais et curé de Passirac), habitants des villages de Chez Bellant et des Grands Bellants (rive droite du Maury) et de Colardeau-campagne (chez Colardeau, rive gauche du Maury). Mais il y avait aussi à l’Ouest de la route de Chalais à Barbezieux des Lafaye, à la Joufrerie et à Colardeau la lande, là où la lande reprenait ses droits, avec de belles clairières comme « le Maine du Curé » et autres lieux. Au Moyen-âge des plantations concertées de hêtres dans un paysage un peu farouche pouvaient être assez remarquées pour amener la dénomination de « Lafaia ». – Les Lafaye possédaient aussi des biens au bourg, limitrophes de la cure vendue à la Révolution en l’an V par les Domaines à Ribéreau, représentant du peuple, sans doute originaire de Brossac. Arch. De la Charente Q-VIII-77.

(27) Dans son « Pouillé historique du diocèse d’Angoulême », t. IV, p. 278.

(28) A notre ami Pierre Dubourg-Noves, dans les pages qui suivent.

 

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II

 

CONTINUITE PASTORALES ET LACUNES DE L’HISTOIRE :

LES DESSERVANTS DE PASSIRAC DEPUIS LE XIe SICECLE

 

 

 

On vient de voir ce que les textes nous apprennent sur Saint-Pierre de Passirac. Peu de choses, en définitive, sur neuf siècles d’histoire à partir de la première mention de l’édifice. Quelques précisions supplémentaires rassemblées par l’abbé Nanglard nous confirment que, relevant du diocèse de Saintes avant la Révolution, l’église dépendait de l’archiprêtré de Chalais (29). Prieuré « conventuel » à l’origine, nous dit encore Nanglard (30). On verra ce qu’il en est. Nous savons que le premier prieur, en 1077, est un nommé Seguin (31). Vers 1110, le titulaire est Pierre Rigaud, qui paraît encore en 1116. Il faut ensuite attendre le 6 août 1225 pour connaître le nom de Guillaume, l’un de ses successeurs. Puis, en 1494 on trouve celui de Guillaume de la Touche. Il semble que par ailleurs, dès que l’église apparaît, elle soit déjà le siège d’une vicairie perpétuelle, unie également à Saint-Etienne de Baignes : l’abbé confère, l’évêque institue. On ne sait quand le prieuré cessa, pour reprendre les termes de Nanglard, d’être « conventuel ». Peut-être au moment de la guerre de Cent ans ? Il est vrai que les troubles de cette époque désorganisèrent de façon durable et parfois définitive la constitution monastique ou canoniale de nombreuses fondations. En fait, on constate simplement, vers le milieu du XVIe siècle, que le prieur ne réside plus. On connaît le nom de quelques-uns de ces prieurs non résidents, après les Guerres de Religion : L. Cornillot, qui cumule cette charge avec celle du prieur de Baignes en 1734 et résilie en 1759 ; Jean-Louis Cosson de Montbrun, en même temps sacristie de l’abbaye de Saint-Cybard près de Bouillé, au diocèse de Poitiers ; Orignoles, installé en juillet 1759, mort le 13 décembre 1770 ; Charles-Louis Régley, installé le 12 février 1771, qui résilie peu après ; Marc-René-Henri de Gandillaud du Chambon, de 1772 à 1776 ; enfin Lefrançois d’Avignon, qui occupe la charge de 1776 à la suppression du prieuré en 1791 (32).

 

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(29) Nanglard, Pouillé du diocèse d’Angoulême, Angoulême, 1900, t. 3, p. 418.

(30) Id., Ibid., pp. 523-524.

(31) Voir ci-dessus, le rappel historique de M. Lefrancq qui ouvre la présente étude.

(32) Nanglard, op. cit., 3, 523-524.

 

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Parmi les vicaires, les listes sont aussi lacunaires jusqu’à une époque tardive ; J. Trouillaud occupe sa charge de février 1612 à 1620 ; il est remplacé par Dumas de 1621 à 1635, puis par A. Dubours de 1636 à 1649… Gabriel Gauthier est vicaire de 1684 à 1700 ; C. Pouyer de 1701 à 1714 ; Jacques Choloux antérieurement vicaire de Berneuil, est installé à Passirac le 8 mai 1714. Il y demeurera jusqu’au 4 février 1766, date de sa mort. Il était parallèlement vicaire de Saint-Martin de Brie ; François Delphieux, nommé en mars 1766 ira en 1780 à Saint-Saturnin de Brie ; le 15 juillet de cette même année, il est remplacé par Joseph Delagnès, qui était vicaire à Saint-Saturnin de Brie, et qui se retire à Juillaguet en avril 1793, puis à Barbezieux, et qui reprendra sa fonction à partir de 1802 (33).

 

            L’église est en effet maintenue comme paroisse en 1803, reconnue les 27 mars 1805 et 30 septembre 1807 avec Chillac pour annexe. Joseph Delagnès, réinvesti le 21 juillet 1803, y exercera jusqu’à sa mort, le 7 septembre 1825 ; Joseph Lapeyre, transféré de Boisbretaud, lui succède du 1er octobre 1825 au 18 juillet 1827, date de sa mort. Puis apparaissent Jean Bonnery, transféré de Rancogne (2 juillet 1828), qui passe ensuite à Deviat ; François Dudouble, le 12 juillet 1830, transféré ensuite à Pillac ; Antoine Bosc, du 19 juillet 1835 au 10 novembre 1864 ; Clément Abbadie, du 1er juillet 1865 au 30 juin 1871 ; Antoine Fontmartin, du 1er juillet 1871 au 12 mai 1905 (34). C’est sous ministère que l’église verra commencer par la nef, couverte d’une voûte neuve en pierre d’Angoulême (travaux dirigés par Jean Perrin, agent-voyer) une restauration excessive poursuivie en 1873 par la construction de l’actuelle et bien encombrante sacristie, en 1893 par la pose d’une charpente neuve couverte de tuiles mécaniques (P. Texier, architecte) et parachevée en 1899-1900 par l’adjonction de superstructures venant couronner l’abside, l’empâtement des murs intérieurs par un épais enduit de plâtre à faux joints, et pour finir, la construction d’un inutile et voyant clocher neuf, travaux réalisés grâce à la participation financière de Marc de la Croix (35).

 

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(33) Nanglard, op. cit., 3, 418.

(34) Nanglard, op. cit., 4, 381-382.

(35) Id., ibid., les noms et les qualités des divers responsables sont en outre inscrits sur la partie refaite de l’abside.

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Au 1er juillet 1905, Félicien Glénisson devient curé de Passirac et le restera jusqu’au 20 novembre 1916 ; puis viendront Léopold Foucher (25 mai 1919 – 19 novembre 1940), Bernard Stoquart (1955-1960), Yves Coulié (1960-1967). Du 19 novembre 1940 au 3 mai 1942, la paroisse avait été desservie par l’abbé Coustillères, curé de Châtignac, et du 3 mai 1942 à 1955 par l’abbé Gazeau, curé-doyen de Brossac.    De 1951 à 1955, l’abbé Gaston Vincent, auxiliaire de Brossac, a desservi Passirac, où il résidait. De 1967 à 1975, l’abbé Gazeau a desservi Passirac. Depuis 1975, l’abbé Belloteau a été nommé vicaire économe de Passirac, et depuis 1977,          ce dernier, toujours en résidence à Passirac, est curé de Brossac (36). 

 

 

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(36) Renseignements aimablement communiqués par M. l’archiviste diocésain.

 

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III

 

ASPECTS SUCCESSIFS DE SAINT-PIERRE DE PASSIRAC
SES RAPPORTS AVEC L’ARCHITESTURE ROMANE
DE LA SAINTONGE MERIDIONALE

 

 

 

C’est le récent décapage intérieur de l’abside par le desservant actuel, Monsieur Belloteau, qui a appelé à nouveau l’attention sur l’édifice et préludé aux manifestations du neuvième centenaire de sa consécration. Ces travaux qui, par la qualité de ce qu’ils découvrent, sont l’amorce d’une résurrection véritable de l’église, permettent de reprendre en partie l’examen d’un édifice que Jean George avait fort bien décrit en 1933 sous son aspect décevant d’alors.

 

Aspect général de l’édifice

 

            Lorsqu’on examine le monument, il y a lieu de se demander ce qu’il peut y avoir de commun entre le texte allégué plus haut et la construction que nous avons sous les yeux. Isolée au milieu d’un petit cimetière, l’église comporte une nef de quatre travées sous berceau, coupole sur trompes à la croisée d’un transept dépourvu d’absidioles et abside précédée d’une travée rectiligne de chœur, chargée au dehors, dans sa partie supérieure, d’une voyante arcature néo-romane. Le clocher sur la croisée, est neuf. Les restaurations du siècle dernier, qui s’étendent aux corniches de la nef, au pignon de la façade, et, plus généralement, au sommet de tous les murs, sont en pierre blanche d’Angoulême et contrastent ainsi avec le grès local dont est construit l’ensemble de l’église ancienne, un matériau d’agrégation siliceuse assez tendre appelé grison, disposé en carreaux d’appareil régulier et d’un aspect coloré d’une belle variété qui va du gris, d’où son nom, à l’orangé, teinte qu’il doit à sa teneur en oxydes de fer (37). L’ensemble de cette construction, par ses caractéristiques stylistiques, peut être situé dans la seconde moitié du XIIe siècle.

 

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(37) Daniou (P.), Grès et calcaire dans les cantons de Barbezieux, Baignes et Brossac, leur utilisation monumentale, Bull. soc. Archéol. de Barbezieux, janvier 1975, pp. 19-31.

 

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L’église primitive

 

            Un examen plus attentif permet de déceler des vestiges plus anciens ; le croisillon sud conserve en effet à l’extérieur un parement de petits moellons carrés de tradition antique, raidi aux angles du bras du transept non par des contreforts mais par de simples pierres d’appareil formant deux arêtes vives qui encadrent un angle rentrant. Cet appareillage de moellon est visible sur le mur ouest du croisillon jusqu’à une hauteur d’environ quatre mètres. Sur le mur sud, où une large baie en arc brisé d’époque tardive est toujours surmontée par le linteau échancré d’un petit arc en plein cintre constituant le haut de l’étroite fenêtre primitive, un peu décalée à l’ouest par rapport au milieu du mur, non seulement l’appareil à petits moellons monte jusqu’à 2 m environ au-dessus de ce linteau, mais il dessine encore une partie de la pente du pignon initial. Dans ce même mur, près de l’angle sud-ouest, un crépi grossier dissimulait tout récemment encore de façon presque complète une ouverture murée. Supposant qu’il pouvait s’agir de la porte de communication avec les lieux réguliers, j’avais demandé à M. Belloteau de bien vouloir faire abattre cet enduit. On se trouve désormais en présence d’une porte dont l’arc est plein cintre, dépourvu d’archivolte et d’impostes, est fait de deux voussures concentriques appareillées dans le même plan, dont les claveaux minces, taillés en pointe d’un seul côté, sont assemblés en dents d’engrenage. Ces appareillages de fantaisie, qui ont souvent été signalés dans le nord du Poitou, l’Anjou et la Touraine (38) et qu’on rencontre sporadiquement ailleurs, ne sont pas fréquents dans les voussures des baies d’Angoumois et de Saintonge, où l’on n’a guère à mentionner que l’église de Nanclars, au diocèse d’Angoulême (39), petit édifice reconstruit en deux campagnes au XIe siècle à l’ouest d’un chevet carolingien, qui possède, appartenant à la première de ces campagnes, une porte occidentale dont les claveaux taillés en dents d’engrenage vers l’extrados s’emboîtent sur une série de losanges eux-mêmes intercalés avec des triangles. Plus au sud, où ces dispositions apparaissent également comme exceptionnelles, l’église de Sérignac, au diocèse d’Agen, est un édifice à moellons carrés et angles appareillés qu’on pense pouvoir dater avec vraisemblance d’avant 1060, date où il est signalé par une charte (40), et dont la porte occidentale présente dans sa voussure externe un typa analogue de claveaux en dents d’engrenage, liés, il est vrai, à un type de mouluration plus élaboré (41).

   

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(38) Plat (abbé G.), « l’art de bâtir en France des romains à l’an 1100… », Paris, 1939.

(39) Dubourg-Noves (P.), Deux petits édifices romains archaïques… Nanclars et Coulgens, Mém. Soc. Archéol. de la Charente, 1971,461-474.

(40) Durengues (abbé), Pouillé Historique du diocèse d’Agen…, Agen 1894, p. 208.

(41) Dubourg-Noves (P.), Notre-Dame de Sérignac, Congrès Archéologique, de l’Agenais, 1969, pp.142-146.

 

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Ces claveaux de fantaisie, si peu nécessaires d’un point de vue strictement architectural que plusieurs archéologues ont pensé et écrit à tort qu’ils étaient dessinés sur la pierre et que le remplissage des joints par un mortier était un simple artifice décoratif, ne sont qu’un aspect particulier de techniques d’appareillage décoratif remontant à l’époque du bas-Empire, que la civilisation carolingienne a repris en des exemples aussi célèbres, et en des monuments aussi éloignés que la « Torhalle » de Lorsch et la crypte de Jouarre (42), et que l’art roman a accueillis et employés jusqu’à la période la plus récente de sa manifestation, notamment en Saintonge, où abondent les parois appareillées en losanges, en peltes, en écailles, en chevrons, aux absides de Riou, de Rétaud, par exemple, et sur bien d’autres monuments. La Saintonge n’a d’ailleurs pas l’exclusivité de cet emploi, qu’on retrouve en Poitou aux façades de Saint-Jouin-de-Marnes et de Notre-Dame-la-Grande de Poitiers, mais qui est d’un emploi encore fort généralisé au XIIe, puisque la façade du croisillon nord de Beauvais, pour ne citer que ce monument fort connu, fait largement appel à lui. On trouve à des dates tardives certains types d’appareillage décoratif de fantaisie encadrant des baies romanes, ainsi à l’église Saint-Martin de Léré, dans le Cher (43) ; mais à Passirac, la liaison de ce décor avec parement de type archaïque, l’absence d’archivolte et d’imposte ne permettent pas de douter qu’on soit en présence d’une première forme de l’art roman. Le mur oriental du croisillon conserve lui aussi nettement, ses dispositions initiales ; on y voit, obturée mais complète, une étroite baie analogue à celle du mur sud, dans une paroi où le petit moellon abonde, avec quelques réfections anciennes ; par ailleurs, le rampant du pignon originel de la paroi sud se prolonge ici en corniche à modillons frustres en grison, sous une tablette en chanfrein de même matériau et très dégradée. L’ensemble a été surhaussé par un parement en léger retrait, peut-être au XIIe siècle, peut-être plus tard.

 

            Pour le moment, le croisillon nord ne permet pas de comparaisons semblables : caché sur son mur oriental par une encombrante sacristie du XIXe, cimenté sur sa paroi nord de façon réellement consciencieuse et couvert sur sa paroi ouest par une cage d’escalier quadrangulaire hors œuvre remontée à une époque tardive, et dont seules les marches remployées sont du XIIe ou du XIIIe siècle, il ne livre actuellement rien de son âge véritable. Il faudra attendre son décapage interne pour en apprendre davantage. Deux photographies anciennes nous montrent seulement qu’un bahut en moellons irréguliers de 2 m environ de hauteur surmontait encore au siècle dernier la corniche de l’abside, et que la surélévation de la paroi est du croisillon, au-dessus de la corniche et en retrait, existait aussi au nord avant les travaux récents déjà signalés. 

 

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(42) Hubert (J.), L’art préroman, Paris 1938 ; Maillé (Marquise de) Les cryptes de Jouarre, 1969.

(43) Deshoulières, Les églises de France, Cher, Paris 1934.

 

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            Tel qu’il nous est parvenu, le croisillon sud de Saint-Pierre de Passirac révèle donc l’existence d’une église appartenant au premier art roman de l’ouest de la France, à murs minces en moellons, non voûtée, sans absidioles sur des croisillons, et pour tout dire un type simple d’église de petit prieuré lié à une paroisse rurale tel qu’il en existe encore, avec des variantes, un certain nombre d’exemplaires tant en Angoumois qu’en Saintonge (44). Ce reste bien caractérisé paraît pouvoir être tout aussi bien situé plusieurs décennies avant la date de 1077 donnée par la dédicace de l’église qu’à cette date même. On a d’ailleurs pris conscience depuis un certain temps déjà que les dédicaces, cérémonies purement liturgiques, n’indiquaient pas nécessairement une reconstruction récente, même partielle, d’un édifice. L’installation d’un autel neuf, le passage d’une notabilité ecclésiastique étaient parfois des motifs autrement déterminants (45). C’est ce qui a pu très bien avoir lieu à Passirac, où à défaut d’une inscription ou d’un texte véritablement précis, la date fournie par le cartulaire de Baignes et dont on vient de rappeler l’existence s’applique à une église qui existait probablement dans son entier, sous sa forme initiale, à une époque sensiblement antérieure.

 

            L’abside, simple dans son aspect extérieur, mais malheureusement remaniée, présente une structure en moellons, raidie de pierres appareillées dans ses parties vives, à savoir ses quatre contreforts plats et ses baies sans colonnettes, non ébrasées vers l’extérieur, munies de claveaux cunéiformes. Ces claveaux sont entourés d’une archivolte à rang unique de grosses billettes qui se prolonge en cordon horizontal, et ce dernier va buter contre la face latérale des contreforts. La technique de taille aussi bien que le matériau – calcaire d’Angoulême – nous montrent à l’évidence que tous ces cordons à billettes ont été sculptés dans la restauration de la fin du XIXe siècle ; mais le modèle initial, s’il a existé sur place et s’il a été reproduit fidèlement, ce qu’on ignore, correspond assez bien à ce que l’on faisait du milieu du XIe siècle au début du suivant dans de nombreuses églises de l’Ouest. On remarquera au passage que les baies d’origine, ont été légèrement rétrécies par la suite, mais dès l’époque romane, probablement quand on a doublé par une arcature intérieure l’épaisseur du mur absidial. Quant à la corniche actuelle, on n’en peut tirer aucun enseignement, car modillons et tablette sont neufs, en pierre d’Angoulême, sans aucun élément ancien conservé, et d’un dessin détestable, comme l’arcature aveugle qui la surmonte, et qui est une invention du siècle passé comme les clichés anciens nous l’apprennent et comme s’en vante l’inscription qu’on y peut lire.

 

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(44) Crozet (R.), Les débuts de l’art roman en Saintonge, MSAHC, année 1961-62, pp. 119-124.

(45) Crozet (R.), Le voyage d’Urbain II et son importance au point de vue archéologique, Ann. du Midi, t. XLIX, 1937, pp. 42-69.

 

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Embellissements et remaniements

 

            L’abside primitive était-elle voûtée ? Etait-elle plus courte ou sur le même plan que l’actuelle ? On ne sait. Mais celle dont on vient d’évoquer l’aspect extérieur correspond à une campagne qui a vu, dans les premières années du XIIe, remanier la croisée primitive du transept : Sur de gros piliers carrés en grison bien appareillés portant une colonne engagée par face visible, on lança de gros arcs plein cintre à deux rouleaux. Et sur cette travée de section sensiblement carrée, de petites trompes d’angle, bandées sur un court segment de cordon en cavet, permirent d’asseoir, plutôt qu’un octogone à proprement parler, un carré aux angles faiblement abattus qui fut couronné d’une moulure torique sous un listel, et put, de la sorte, servir de support à la coupole, ou plus exactement à une vaste voûte en arc-de-cloître à quatre pans larges alternant avec quatre autres très étroits. On peut supposer que cette voûte est en moellons mais son enduit intérieur moderne et le fait que son extrados, englobé dans le clocher récent, soit invisible, empêchent de l’affirmer. Elle est percée à son sommet d’un oculus pour le passage des cloches, qui a été repris au XIXe siècle en même temps que le clocher lui-même.

 

            Cette croisée du transept comporte de la sculpture : les deux colonnes engagées de ses piles orientales ont leurs chapiteaux décorés. Cela nous vaut, sur le côté occidental de la pile sud-est, une scène de coït entre un personnage ityphallique debout face à sa compagne qui ploie un genou, scène encadrée de monstres dressés aux angles de la corbeille. A la pile nord-est, face sud, un homme met sa main gauche dans la gueule d’un loup tandis qu’un autre monstre carnassier lui mord l’oreille droite, scène encadrée de palmettes frustres en méplat (45 bis).    Le chapiteau de la face ouest est une corbeille de palmettes assez sommaire. Les deux piles de l’ouest sont nues. Tous les tailloirs sont en chanfrein simple et couronnent l’ensemble de la pile. Malgré le peu d’ordre suivi par le programme iconographique, il semble bien que le thème essentiel en soit le péché et les dangers spirituels qu’il représente sous différents aspects.

 

            Le voûtement du transept dut rendre nécessaire le rhabillage intérieur du chœur, ce qui semble s’être produit en deux temps. D’abord, la partie rectiligne, sans doute dans une même campagne que le transept ou immédiatement à la suite, puis le rond-point. Dans la travée rectiligne, deux groupes de trois colonnes marquent la séparation avec l’hémicycle. Leurs chapiteaux triples ont été conçus ensemble et sculptés au même niveau, et c’est ce qui explique que le tailloir de la corbeille centrale porte un court dosseret épais qui rattrape, ou peu s’en faut, le niveau des tailloirs du transept et porte le doubleau du cul-de-four. Il eût été aussi simple de prolonger de quelques assises la colonne centrale du faisceau mais la façon dont est corrigée cette maladresse, si c’en est une, est savoureuse et donne au chœur originalité et bonhomie.

 

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(45bis) Une scène analogue se voit sur un chapiteau de Cressac, du diocèse d’Angoulême qui appartient au premier art roman.

 

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            La sculpture des deux faisceaux de trois colonnes dont il vient d’être question se rattache de près à ceux qu’on vient d’examiner au transept alors qu’elle diffère nettement des chapiteaux qui sont au rond-point. Du côté nord, le chapiteau central évoque une corbeille corinthienne aplatie et simplifiée. Un cordon de section rectangulaire partant du milieu de l’astragale monte et se sépare en deux branches courtes qui se terminent en sommaires volutes. Chaque face latérale du chapiteau reproduit en outre la moitié du dessin qu’on vient de décrire. Sur la face principale, la rosace des modèles corinthiens est évoquée ici par un simple cordon de même section que les précédents, décrivant un anneau imparfait. A mi-distance des cordons qui marquent le milieu et les côtés du chapiteau, deux autres cordons semblables, accolés au niveau de l’astragale, se séparent bientôt en branches courbes divergentes pour soutenir la naissance des volutes. Le dessin de ces diverses branches détermine entre elles quatre espaces lancéolés qui sont recreusés d’une palmette élancée recoupée en folioles, évoquant grossièrement une acanthe. Tout ce travail est assez raide et frustre. Le segment de corbeille qu’on voit à droite révèle plus de souplesse, et une différence évidente de main et de technique. Il s’agit en effet d’un cordon de section ronde refendu longitudinalement par un filet gravé. Le dessin en est souple et d’une géométrie peu rigoureuse. Il se replie sur lui-même en entrelacs d’où se détachent des palmettes, dont la taille a été faite uniquement en biseau, par faible incision de la surface. Du côté gauche, c’est-à-dire vers la croisée, le quart de corbeille correspondant est orné de deux animaux symétriques en aplat, assis sur leur arrière-train et se mordant la gueule. Il s’agit peut-être de lions, mais cette identification n’est pas indubitable. De leurs queues partent des rinceaux de section quadrangulaire, analogues à ceux du chapiteau central, qui s’entrelacent gauchement autour des pattes et des corps dressés. Les astragales sont de section arrondie, les tailloirs comportent un plan vertical suivi d’un chanfrein plus large légèrement évidé en cavet.

 

            Du côté sud la corbeille centrale est très semblable à celle qui lui fait face au nord, à ceci près qu’il n’y a pas de ruban naissant à mi-distance de ceux qui forment les volutes, et qu’ainsi tout l’espace compris entre ces dernières est tapissé de grosses palmettes longues inspirées de l’acanthe, avec un dessin différent sur chaque moitié du chapiteau et une facture très simplifiée. Par ailleurs, la rosette n’est pas marquée et l’espace en forme de triangle curviligne concave qui en occupe l’emplacement est faiblement entaillé par un petit motif végétal sinueux à peine indiqué. En outre, l’un des quatre rubans qui déterminent les volutes est foré de petits trous au trépan espacés régulièrement. Ce trait technique ne se retrouve sur aucun autre chapiteau de l’église. Le quart-de-corbeille tangent vers la gauche présente deux rangs superposés d’acanthes molles, de la même veine que celles qu’on vient de décrire. La section de corbeille qui fait symétrie du côté droit est occupée à l’angle par un personnage nu assis, à grosse tête barbue et moustachue très expressive, qui passe l’un de ses bras sous son genou pour saisir de sa main droite son sexe énorme et pendant. Il est encadré par deux petits personnages trapus qui lui jouent du cor dans les oreilles ; l’un deux, à sa droite, tient dans la main qui supporte le cor un objet difficile à identifier – cornet ou massue ? Le matériau gréseux dans lequel sont taillées ces différentes sculptures contribue à en accentuer le caractère sommaire, mais n’en amoindrit pas la valeur expressive ou décorative.

 

 

 

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Ces sculptures, où se révèlent deux techniques, l’attaque perpendiculaire de la surface à bord abrupt et la taille en biseau, sont à rattacher au même atelier que les chapiteaux du transept. Le couple amoureux, les lions (?) combattants, l’homme nu encadré de joueurs de cor appartiennent au premier groupe. L’homme à la main prise dans la gueule du loup est par ailleurs encadré de feuillages taillés en biseau semblables à ceux du chapiteau de droite du faisceau nord, et les entrelacs refendus d’un filet ressemblent à ceux qu’on voit sur la corbeille de la pile sud-est du transept et aux rinceaux grossiers de la pile nord-est.

 

            Le décor de l’abside est tout différent. On ne peut s’en rendre compte que depuis le récent décapage, qui met en valeur, outre son décor, ses qualités de structure. Le parement en moellons a été rhabillé sans doute autour de 1125 ou peu après par une arcature dont les trois arcs surbaissés reposent sur quatre colonnes engagées isolées. Leurs chapiteaux de calcaire fin légèrement ocré, visiblement importés d’une carrière de la région d’Angoulême ou Châteauneuf propagent et déjà simplifient le style alors tout récent qui, né dans le foyer d’art de la cathédrale de Girard II à Angoulême, donnera une si abondante floraison dans les églises du diocèse et de ceux d’alentour. On doit d’ailleurs différencier quelque peu les deux gros chapiteaux fort soignés qui reçoivent les retombées intermédiaires de l’arcature de part et d’autre de la fenêtre d’axe et les six petites corbeilles des colonnettes encadrant les trois fenêtres, et qui sont un peu plus sommaires. Les premiers seuls rappellent de près par leurs animaux orientalisants mêlés à des rinceaux à la fois nerveux et moelleux l’art savant et séduisant du foyer d’art de Girard : du côté nord, ce sont des quadrupèdes dont les corps se croisent et qui portent à la place des volutes d’angles leurs masques de lions grimaçants ; au midi, ce sont deux couples de dragons affrontés à crinière modulée en une succession de virgules, qui détournent leurs têtes symétriques pour cracher des jets de rinceaux. Les tailloirs, en partie abattus pour loger un retable classique depuis longtemps disparu, reprennent la mouluration simple signalée dans la travée rectiligne, mais en la compliquant, dans la partie chanfreinée formant cavet, par une rainure qui en souligne l’encadrement.

 

            Bien qu’il s’agisse d’un modeste prieuré rural, le constructeur, dans cette abside, a souhaité produire un effet de relative somptuosité, auquel contribue la présence des dix colonnettes à chapiteaux sculptés qui encadrent les baies. A la fenêtre nord, ce sont, de gauche à droite, un chapiteau végétal et un monstre isolé qui crache des rinceaux ; à la fenêtre d’axe, des rinceaux qui se ferment en médaillons remplis chacun d’une palmette font pendant à un monstre à tête unique crachant un jet de feuilles, qui occupe l’angle de la corbeille, tête dont se détachent deux cous et deux corps ; la fenêtre du midi est de même encadrée par deux corbeilles où se déploient, vers la gauche, trois rangs superposés de petites feuilles en virgule sur une astragale en torsade, et à droite le vieux symbole eucharistique des deux oiseaux affrontés buvant dans un calice. Tout ceci, assez sommaire, est traité avec plus de verve que de science, et un sens évident du pittoresque.

 

 

 

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            Cette architecture intérieure du chœur était en outre rehaussée de polychromie. Il n’y paraît plus guère, mais on peut encore deviner sur une des colonnettes des baies, du côté nord, une spirale de traits ocrés parallèles faite pour suggérer les nervures du marbre ; cette polychromie devait affecter les chapiteaux, les bases, les tailloirs, peut-être le nu du mur et la voûte, qui sont en moellons et revêtus d’un enduit refait. Détail curieux, on ne discerne plus qu’il y ait eu un cordon pour souligner la naissance de cul-de-four. Par ailleurs, la grosse banquette qui forme stylobate dans toute la portion orientale du monument supporte des bases de colonnes faites d’un gros tore séparé d’un tore plus mince par une petite gorge dans le transept et la partie rectiligne du chœur, et en forme de grosses bobines dans la partie tournante de l’arcature et l’encadrement des baies de l’abside, le tore inférieur de la bobine étant fileté sur un des exemplaires anciens qui se sont conservés du côté nord.

 

L’architecture de la nef

 

            Le rhabillage de l’édifice du XIe siècle a dû se faire par étapes, à mesure des ressources, ce qui explique le décalage assez court des périodes que l’on appréhende à leurs différences stylistiques, et il s’est ensuite étendu à la nef. Des sondages dans l’épaisseur des parois diraient si elle a été rebâtie totalement ou non. Mais il est probable qu’on s’est contenté, là comme ailleurs (46), d’épaissir le mur mince en moellons par une arcature, tant au-dedans qu’au-dehors. Au nord, le bel appareillage régulier de grison s’étend sur quatre travées, marquées par des contreforts à double épaisseur. Le premier décrochement reçoit une arcature en plein cintre, de faible saillie, appliquée à la paroi du fond et reposant sur des impostes en cavet sans décor. Le second ressaut, plus étroit, forme un pilastre indépendant aminci près de sa tête par un glacis couronné d’un faible ressaut qui butte contre la tablette de la corniche et interrompt la ligne des modillons. Comme le mur est refait sur le quart supérieur environ de sa hauteur totale, on ne sait jusqu’à quel point le parti actuel reproduit les dispositions originales. Au milieu de chaque travée est une fenêtre longue sous un linteau échancré d’un plein cintre. Du côté méridional, les mêmes remarques sont valables, à ceci près que les arcatures ont leurs arcs brisés, que les fenêtres des travées 3 et 4 sont décalées par rapport à l’axe de cette brisure, et que les travées 1 et 2 affectent quelques particularités intéressantes. La seconde travée, tout d’abord, possède une baie large encadrée de colonnettes, et un arc appareillé en plein cintre entouré d’une archivolte à pointes de diamants. La première, pour sa part, recevait lorsqu’elle fut construite l’entrée principale de l’église, aujourd’hui murée. En effet les contreforts à double ressaut analogues à ceux qui ont été décrits déjà encadrent une porte en plein cintre, large et relativement basse, à deux voussures reposant sur des impostes chanfreinées.

 

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(46) Mesplé (P.), Eglises préromanes de Gascogne et pratique des contre-murs à l’époque romane, Auch, 1975.

 

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Une archivolte à pointes de diamants l’encadre. Les angles de chaque ressaut sont adoucis par de petits tores. Au-dessus, portée par une courte corniche à modillons, une suite de trois arcs aveugles également en plein cintre portés par des faisceaux de trois colonnettes appareillées à chapiteaux nus lui fait un harmonieux couronnement. Les bandeaux horizontaux se poursuivent sur les contreforts d’angle et font retour sur la façade ouest.

 

            Celle-ci possède, dans l’axe, une petite porte romane en plein cintre, à rouleau unique sur de courtes impostes, et archivolte à pointes de diamants. Elle est surmontée à l’étage d’une baie très dégradée dont les deux rouleaux concentriques en plein cintre sont dans un même plan. L’amincissement des contreforts d’angle de la façade sur leur ressaut extérieur est ici indiscutablement d’origine, ce qui authentifie peut-être la disposition analogue qu’on a signalée sur le gouttereau. Le pignon, remonté en moellons, a ses rampants entièrement et inexactement refaits.

 

            On peut s’interroger, en présence de deux portes aussi voisines, sur leur utilité. Quand on considère que le portail méridional a été fermé par une cloison d’aspect roman à l’appareil soigné, quand on constate l’existence de reprise dans la façade occidentale autour des piédroits de la porte qui en occupe le rez-de-chaussée, on ne peut que conclure qu’elles n’ont jamais existé simultanément, celle de l’ouest ayant été percée après coup lorsqu’on a condamné l’autre.

 

            L’intérieur de la nef, encore dissimulé sous sa gangue de plâtre, porte un arc à légère brisure par travée, s’appuyant sur un dosseret large et de faible saillie, qui reçoit en son milieu une forte colonne engagée. Tous les chapiteaux sont nus. Les fenêtres sont encadrées de colonnettes dont la forme apparaît empâtée, ce qui n’est peut-être dû qu’à l’épaisseur de l’enduit. Une petite porte, au midi de la quatrième travée, a été percée très postérieurement au XIIe siècle, peut-être à la fin du moyen-âge ou même plus tard, si l’on en juge par son aspect visuel. Quant à la voûte, berceau à gros doubleaux de section rectangulaire, on ne sait si son profil surbaissé suit des traces laissées au revers de la façade, mais il date, comme on sait, du XIXe siècle dans son état actuel.

 

 

Conclusion

 

            De ce qui précède, on peut tirer quelques remarques sur l’état ancien du monument : Prieuré-vicairie, comme on sait, l’église était commune à la paroisse et au prieuré. L’existence de lieux conventuels est attestée au sud par la porte du XIe siècle découverte dans le transept. Il est peu probable que ceux-ci aient comporté le quadrilatère habituel de bâtiments à usage hautement différencié répartis autour d’un cloître, comme cela est de règle dans la très grande majorité des abbayes et prieurés importants de cette époque. Au demeurant, sans doute le personnel réduit du prieuré ne justifiait-il pas leur présence. Il serait d’ailleurs du plus haut intérêt de relever systématiquement, dans les prieurés à faible effectif monastique, les dérogations qu’on rencontre, partout où on peut constater l’état des lieux, à la disposition habituelle des bâtiments disposés sur les trois côtés d’un cloître.

 

 

 

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On voit, dans certains cas, disparaître le cloître proprement dit, et les différents services de la communauté s’établir selon un dispositif simplifié, qui n’implique pas obligatoirement une cour fermée attenante à l’église. A Passirac, étant donnée la longueur relativement faible de la nef, la présence dans la première travée d’un portail décoré excluait qu’une aile de celliers ait pu venir s’y appliquer en le dissimulant. Une telle aile au droit de la seconde travée serait également peu vraisemblable puisque c’est précisément en cet endroit qu’on trouve la fenêtre la plus décorée de la nef. Sauf précisions ultérieures qu’apporteraient des fouilles, on en est réduit à conjecturer l’existence, à l’est des lieux réguliers, d’une aile comprenant sacristie et peut-être salle capitulaire, mais sans dortoir à l’étage, ce qu’exclurait le niveau de la fenêtre primitive en place dans le mur sud du transept. Ce qu’à dû exclure, aussi, la présence d’un nombre si réduit de religieux qu’on n’a pas cru devoir, soit en 1077 soit depuis, construire des absidioles pour permettre la célébration de messes simultanées. On arrive à se demander, dans ces conditions, quelle réalité pouvait bien cacher le terme de prieuré « conventuel », d’autant que, des lignes de M. Paul Lefrancq qui ouvrent cette étude, il semble bien résulter que le prieur, qui devait être en même temps vicaire, résidait à 1500 m de l’église, au maine de « Cabecia », plus tard « Maine du curé ».

 

 

 

 

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Quand on sait la faculté d’adaptation de l’ordre bénédictin, y compris dans sa variété clunisienne, souplesse qui contraste avec la rigidité dont font preuve, par exemple, cisterciens, chartreux ou grandmontains, du moins, pour ces derniers, dans une seconde phase de leur existence, on est fondé à se dire qu’une « communauté » comme celle de Passirac, constituée, au minimum d’un seul prêtre, ou, au plus, de deux ou trois frères dont un seul, peut-être avait reçu la prêtrise n’offrait de « conventuel » que son rattachement à l’abbaye de Baignes, qui tenait à marquer ainsi ses droits, et que la présence des « lieux claustraux » ne devait se marquer que d’une façon assez symbolique. Si la présence d’une « clôture » semble pouvoir se déduire de la configuration des lieux, la disposition canonique habituelle dans des prieurés importants et les abbayes a dû être réduite ici à sa plus simple expression, de même que la prééminence liturgique du chœur ne se révèle que par la présence des encoches qui servaient à encastrer la « poutre de gloire » dans la paroi des piles orientales de la croisée du transept. Il est curieux que cette question n’ait guère été soulevée à propos de tant de petits prieurés où la présence de lieux réguliers semble, parfois réduite à sa plus simple expression, voire même à peine concevable. Dans les meilleurs cas (47), le reste des bâtiments nécessaires à la vie de la petite communauté devait se répartir dans une aile en retour qui s’étendait parallèlement à la nef. Un dispositif de ce type se lit encore au sud de l’église prieurale de Bourg-Charente. A Bourg comme à Passirac, une simple cour, peut-être fermée à l’ouest par un mur, a dû tenir lieu de cloître. Pas plus dans un édifice que dans l’autre on ne trouve contre le mur de la nef les corbeaux ou des traces de solins d’un cloître, et dans ce dernier cas, l’épiderme très sensible du grès garderait la trace de ces contacts, s’ils avaient existé. Par ailleurs, le partage d’une église entre le service du prieuré et celui de la paroisse implique des solutions fort diverses, en particulier pour les accès. Pour s’en tenir à quelques exemples pris dans le diocèse de Saintes, le prieuré de Reignac réservait une entrée, qui était monumentale, à l’extrémité de son croisillon nord, tandis que l’accès principal était à l’ouest. Il en allait de même à Sainte-Radegonde de Talmont. L’église de Fenioux fait voisiner une porte monumentale à l’ouest et une petite porte au nord, dans le bas de la nef. Dans ce dernier cas autant qu’à Passirac, leur emploi respectif pose quelques questions. Doit-on, dans cette dernière église, considérer la porte établie dans la première travée de la nef comme l’accès paroissial, accès jugé ensuite inopportun parce qu’il interférait avec les nécessités de la vie régulière ? C’est peut-être, en effet, à la répartition ambiguë des dispositions architecturales marquant l’usage proprement « monastique » au sens restreint où l’on vient de le définir et l’usage paroissial de ce petit prieuré-vicairie qu’on doit, en fin de compte, attribuer la condamnation de la belle porte méridionale et l’établissement d’un accès plus simple à l’ouest, sans doute postérieur d’assez peu.

 

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(47) Signalons toutefois que M. Marcel Durliat a signalé la disposition inhabituelle des bâtiments prieuraux dans un petit édifice archaïque proche par plusieurs traits de ceux du diocèse de Saintes, l’église de Peyrusse-Grande. Voir à ce sujet son étude « L’église de Peyrusse-Grande » in Bull. de la Soc. Archéol… du Gers, LXe année, 3e-4e trim. 1959, pp. 95-108, et part. p. 98. (Cf. en Angoumois les prieurés de Nanclars et de Vindelles).

 

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Ainsi, par quelques dispositions architecturales et leurs remaniements, se trouvent évoqués des traits de la vie lointaine de ces petits prieurés faisant office de paroisse, si nombreux à l’époque romane et dans lesquels la vie monastique, mal connue en raison de la rareté et de la dispersion des textes, n’a dû pouvoir se maintenir que de façon précaire. Un tel émiettement des possessions était particulièrement le fait des diocèses d’Angoulême et de Saintes, et y a été l’un des facteurs de fragilité des grandes abbayes elles-mêmes, passée la trop courte prospérité qui se termine avec le XIIIe siècle.

 

            A Passirac, la modestie de la communauté religieuse, qui se traduit dans l’architecture de l’église par l’absence d’absidioles au transept amène à envisager quelques comparaisons, trop rares hélas, qu’il est possible d’établir avec d’autres églises archaïques de cette partie sud-est du diocèse de Saintes. Brie-sous-Chalais, Bardenac (détruite), Bors-de-Baignes et Saint-Laurent-de-Belzagot, Cressac et Poullignac (48), aujourd’hui en Charente, étaient des églises charpentées sans transept, comme Châtenet, Pouillac et Sainte-Colombe, qui sont aujourd’hui en Charente-Maritime. De même ont toujours été dépourvues de transept Bougneau, Consac (49) et Saint-Palais-de-Phiolin. Mais dès le XIe siècle, dans le sud du diocèse, existaient d’autres petites églises à double vocation paroissiale et prieurale où le transept évoquait la possibilité d’une vie monastique véritablement collective, encore que réduite. Ce groupe plus rare est bien illustré par Saint-Dizant-du-Gua. Saint-Quentin-de-Chalais, situé dans le diocèse de Périgueux, mais à la limite de celui de Saintes et de l’archiprêtré de Chalais et à une vingtaine de kilomètres à peine de Passirac, possède pour sa part, sous des constructions du milieu et de la seconde moitié du XIIIe siècle, et précisément dans le transept, deux types d’appareillage superposés qui appartiennent l’un et l’autre à la technique des maçons du XIe, le petit moellon carré de tradition romaine, dont Gardelles souligne qu’il apparaît dès la fin du Xe siècle dans les églises de Bordeaux (50) et le parpaing oblong taillé, qu’on peut mettre en évidence dès les deux premières décennies du XIe siècle dans le diocèse d’Angoulême (51). Or dans cette église, les trois appareillages se trouvent très exactement superposés l’un à l’autre d’une façon qui confirme la chronologie ailleurs constatée de leur emploi.

 

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(48) Dubourg-Noves(P.), La nef unique dans le premier art roman d’Angoumois et de Saintonge, en préparation ; pour Poullignac et Cressac voir étude de R. Crozet citée n. 44 ; également Daras (Ch.), Les églises du XIe siècle en Angoumois, Bull. Soc. Antiq. de l’Ouest 1959, fasc.3 et 4.

(49) Eygun (F.), Art des Pays d’Ouest, Arthaud 1965, pp. 82-90, et Saintonge Romane, Zodiaque, 1970, pp. 105-131.

(50) Gardelles (J.), in : Higounet, Bordeaux pendant le haut moyen-âge, Bordeaux, pp. 161 et ss.

(51) Dubourg-Noves (P.), Nouvelles considérations sur Saint-Amand-de-Boixe, MSAHC, 1971, pp. 475-486 ; cet édifice est précisément daté des années 1020-1028. George (J.), Les églises de France, Charente, signale cet appareillage avec présomption d’ancienneté à l’église de Roullet.

 

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Par une coïncidence éloquente, les comparaisons entre ces deux églises ne s’arrêtent pas là. Le XIIe a pourvu à Saint-Quentin-de-Chalais d’une abside à arcature interne avec un ensemble de chapiteaux dérivés du style d’Angoulême, comme à Passirac et dans une vingtaine d’églises de la moitié sud du diocèse de Saintes. Outre la représentation d’un « Constantin » et d’un « Samson » sur une même corbeille, qui n’a pas encore été signalée semble-t-il (52) et qui fera prochainement l’objet d’une publication en préparation, sujet qui montre comment les grandes créations de la plastique monumentale avaient leur reflet dans la sculpture réduite des chapiteaux, on y trouve vingt-deux chapiteaux dont plusieurs reprennent les motifs orientalisants présents au chœur de Passirac, et en particulier des monstres croisés, des monstres crachant des rinceaux et des oiseaux affrontés, buvant dans un calice. Mais ce dernier thème est, à Saint-Quentin, à droite de la fenêtre d’axe, endroit privilégié, tandis que Passirac le relègue dans une baie latérale, indice que la mise en place d’éléments sculptés avant la pose a été, dans le premier cas, exécuté avec plus de soin que dans le second.

 

Plusieurs édifices situés géographiquement entre ces deux églises ont accueilli un décor du même genre et du même style, dû à un même atelier de production : les chœurs de Conzac, près de Barbezieux (53), de Montmoreau (54) et de Bors-de-Montmoreau, la façade de Saint-Félix-de-Montmoreau, le chœur et le clocher de Saint-Laurent-des-Combes (en Charente) et, (dans l’actuelle Charente-Maritime), le riche décor du chœur de Marignac-en-Pons (55), Saint-Martin-d’Ary, les rares vestiges d’Orignolles. On dirait qu’à une première vague de construction et, plus rarement, de décor qui occupe le XIe siècle vient se substituer partiellement, dans les façades et les absides, une reconstruction partielle des églises dont le faible décalage chronologique par rapport aux premiers s’explique le plus souvent par la qualité sommaire et le peu de solidité des bâtiments qui les ont précédés, et ces reconstructions reflètent la grande nouveauté du moment, le décor dérivé de l’atelier de la cathédrale d’Angoulême, aussi bien dans les diocèses de Périgueux (partie nord-ouest), de Bordeaux (partie nord) ou de Saintes, précisément dans la région qui nous intéresse, que dans l’ancien diocèse d’Angoulême même. Mais les entités proprement seigneuriales, moins aisément perceptibles, ont dû jouer au moins autant, sinon plus, que la réalité du découpage ecclésiastique, plus perceptible à nos yeux parce que plus stable.

 

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(52) Cependant René Crozet avait dû avoir vent indirectement de l’existence de cette sculpture, puisque dans son étude : Le thème du cavalier victorieux dans l’art roman de France et d’Espagne, CIER, 1971, - I, pp. 3-22,   il signale dans na nomenclature, n. 2, p. 4 : Saintonge : Chadenac, Chalais, Grézac…Mais il ne l’avait pas vu, car la localisation n’est pas exacte, et d’autre part, il n’en est fait nulle autre mention dans le cours de ce travail,     qui vise à l’exhaustivité.

(53) Cf. Daras Ch., La tour-lanterne de l’église saintongeaise Saint-Jacques de Conzac, MSAHC, 1959, pp. 73-79.

(54) George et Guerin-Boutaud, Les églises romanes de l’ancien diocèse d’Angoulême, Paris, 1928.

(55) Daras (Ch.), L’église de Marignac, Congrès Archéol. de France, 1956, La Rochelle, pp. 236-244.

 

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            L’aspect de la nef actuelle de Passirac, pas plus que les constructions du transept et du chœur, ne constitue une exception. Il est au contraire, un bon exemple d’une activité dans l’art de bâtir qui a régné dans toute la seconde moitié du         XIIe siècle. Cet art doit une bonne part de son originalité à une judicieuse utilisation du grès, ce qui le différencie des productions plus célèbres de la partie nord du diocèse à la même époque dans laquelle l’emploi d’un calcaire tendre rendait possible la sculpture monumentale extérieure. Il a laissé dans les landes de Saintonge et d’Angoumois, et, à un moindre degré, du Bordelais et du Périgord une production abondante et homogène. Brossac, Chillac, Chalais, Sérignac, Berneuil, Saint-Vallier, Reignac (56) pour le diocèse de Saintes, Montmoreau pour celui d’Angoulême sont encore aujourd’hui les témoins les plus intacts parmi bien d’autres vestiges défigurés, ruinés ou mal restaurés d’un art parfaitement au point, sans grandes innovations certes, utilisant des colonnes un peu épaisses, des moulures un peu grasses assez en accord avec le grès et parfois les molasses calcaires employées pour leur imposer une modénature simplifiée et largement traitée, où le chapiteau nu est souvent de règle, qui sait jouer dans la distribution de l’espace de la force et de l’ampleur et qui donne à toutes les productions de ce territoire un air de parenté d’où la monotonie, parfois, n’est pas absente, mais aussi une belle sobriété.

 

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(56) Les descriptions données par George (J.), Les églises de France, Charente, de ces différents édifices pour toutes les églises relevant de l’ancien diocèse de Saintes sont pour la plupart nettement insuffisantes et parfois même entachées de confusion et d’erreurs.

 

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Cette dernière coïncide parfaitement, dans le temps avec l’accession à l’archevêché de Bordeaux du chanoine régulier Geoffroy du Loroux, dont le goût personnel dépouillé, relevant d’un besoin d’ascétisme, a été déjà opportunément souligné (57).

 

            Ainsi donc, à trois moments de sa construction, l’église de Passirac se révèle à nous comme le produit d’une histoire et d’un terroir, profondément solidaire néanmoins de courants artistiques plus larges. Lié historiquement à une grande abbaye aujourd’hui depuis longtemps déchue et même effacée du paysage qui l’a vu bâtir : Saint-Etienne de Baignes, ce modeste prieuré au milieu de bien d’autres si semblables et pourtant si différents qui parsèment ces landes austères, témoigne de la vitalité d’un temps et de l’enracinement d’un art. Plus même, par les remarques et les interrogations qu’il suscite, il se révèle, en plus de son évident intérêt pour l’histoire de l’art, un éloquent document d’histoire (58).

 

Pierre Dubourg-Noves

 

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(57) Gardelles (J.), La cathédrale de Bordeaux, thèse de doctorat, Bordeaux, 1963.

(58) Il m’est agréable de remercier MM. Paul Lefrancq pour avoir bien voulu collaborer à cette recherche commune, et Baranger, pour avoir dressé le plan qui y figure ainsi que MM. de Castelbajac, Maire de Passirac et Belloteau, curé desservant, pour leur extrême obligeance. Afin d’être tout-à-fait complet, on doit signaler la remise dans l’église, par leurs soins conjugués, d’un fragment de relief du XVIe siècle très dégradé représentant le Christ sortant du tombeau en présence d’un soldat. On ne saurait dire s’il provenait de Saint-Pierre où il aurait alors servi de devant d’autel ou de retable.

 

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